jeudi 24 août 2017

Etre une femme dans le Sud-Est de Madagascar

août 24, 2017 0 Comments


Comme je l’ai mentionné dans un de mes anciens articles, je suis originaire du Sud-Est de Madagascar, plus précisément je suis Antaisaka. J’ai pourtant grandi à la capitale et mes passages dans ma ville natale, Farafangana se résumait aux séjours pendant les vacances scolaires. Ce n’est qu’il y a quelques années que toute ma famille y a déménagé et j’ai donc pu y passer toute mon année de Terminale. Je n’explique pas tout ceci pour le plaisir de raconter ma vie et les flux migratoires de notre petite couvée (haha. Blague d’ornithologue. Désolée). Non, si cette mise en contexte était nécessaire, c’est pour expliquer que cette chronique ne se base pas seulement sur les statistiques et les études que j’ai pu consulter en faisant des recherches, mais également sur mon vécu et sur ce que j’ai pu observer au sein de cette société profondément patriarcale.

Alors, être une femme dans le Sud-est de Madagascar, qu’est ce que ça implique ?

Injustices sociales

Dans la région du Sud Est de Madagascar, il faut savoir que la femme subit encore de nombreuses injustices sociales, que ce soit du fait des us et coutumes ou encore des vieilles traditions qui sont tellement ancrées dans le quotidien qu’elles sont tombées dans la banalité. Le premier exemple tangible est le non droit à la succession. En effet, dans notre belle et exotique région, les femmes n’ont pas droit à l’héritage parental. La succession des biens est entièrement dévolue aux garçons, et il arrive également qu’une femme mariée soit répudiée par son époux et parte les mains vides. Malgré le partage équitable des biens communs prévus par la loi, nombreuses sont celles qui, à la suite de la séparation avec leurs maris, doivent prendre leurs enfants sous les bras et partir sans rien d’autre que leurs vêtements sur le dos. En effet, sans engagement légal, aucune règle de bienséance  ou de société ou de simple bon sens n’oblige l’homme à assumer certaines obligations envers femme et enfants qu’il aurait quitté.

Pendant les événements importants comme par exemple les décès qui donnent lieu au « doboky » (veillée mortuaire), les femmes n’ont pas le droit de se mettre à table avec les hommes. Même au quotidien, il arrive que cette habitude dégradante de ne pas admettre les femmes à la même table que les hommes soit encore observée. Je me souviens de certaines festivités familiales où, parce qu’il n’y avait pas assez de tables, toutes les filles ont été enjointes à s’asseoir sur des nattes pour que ces messieurs puissent poser leur délicat postérieur sur les chaises. Pour la galanterie, on repassera. Bien entendu, les tâches ménagères sont entièrement dévolues aux femmes tandis que le droit de manger en premier est réservé à l’homme. Dans une famille, les décisions reviennent toujours au hommes, même si l'aînée est une fille. La tradition veut que la fonction de "chef" soit tenue par un individu de sexe masculin, de manière obligatoire et peu importe si ce n'est ni le plus sage ni le plus expérimenté. 

En outre, le concubinage et la polygamie des hommes sont quasiment admis par la société, ce qui fait que les cas d’abandon de familles sont très nombreux et sont mêmes tombés dans la banalité. Bien entendu, là où les hommes s’en sortent avec des petits haussements d’épaule désabusés, je vous laisse imaginer l’opprobre et les insultes auxquels une femme aura droit si elle a le malheur de fauter envers son mari ou concubin.  La culture du « fandeferana » (tolérance) et de la soumission a tellement été battue et rebattue aux oreilles des femmes depuis leur jeune âge qu’elles ne s’étonnent plus de voir leurs maris les tromper « de temps en temps », tandis que les garçons semblent élevés dans l’idée que leur masculinité ne peut s’exprimer qu’à travers le nombre de leurs conquêtes et leur capacité à fourrer leur appendice viril dans un quelconque orifice couvert de poils (Des mots vulgaires qui recèlent hélas rien que la vérité). Et ce, qu’ils soient mariés ou pas. Bien entendu, s’il est communément admis qu’un homme qui trompe sa femme se fera pardonner relativement facilement, un mari qui reste avec une femme qui l’a trompé avec un autre homme sera à jamais étiqueté par tous comme un pauvre type faible qui est en ménage avec une pute. Et je pèse mes mots.

Traditionnellement, c’est l’homme qui va demander la main de sa future épouse aux parents de cette dernière, au cours d’une cérémonie où il pourra enfin amener cette dernière à s’installer avec lui. Dans cette logique, on nous apprend, à nous les filles, que même si le mari trompe sa femme avec un harem entier, tant qu’il ne nous a pas « ramené » chez nos parents, cela veut dire qu’il ne veut pas se séparer et de facto, qu’il tient encore à nous.  Pour ce que j’en dis, c’est juste une tradition qui vise à empêcher la femme de faire le moindre acte de rébellion envers une situation qu’elle ne tolèrerait pas.

En outre, les décisions communautaires sont généralement prises sous l’égide des hommes et il est assez rare que les femmes aient voix au chapitre. Certains rétorqueront  que rien ne les en empêche et même si en pratique, c’est vrai, la réalité est plus complexe. Il faut savoir qu’au sein de cette société, la voix des femmes est très peu sollicitée, elles ont l’habitude d’être brimées, cantonnées à des tâches avilissantes, à la cuisine et à l’entretien du foyer qui est censé être leur juste place. Dans ces conditions, les filles sont habituées à évoluer dans une société où tout ce qui est considéré comme « important » revient aux hommes. Comment, après cela, peut-on leur inculquer le fait qu’elles peuvent avoir une voix, un avis, des idées qui comptent ? Alors se contenter d’accuser les femmes de la région Sud-est de se complaire dans leur situation est de la mauvaise foi, puisque cela ne tient absolument pas compte du contexte dans lequel elles ont évolué.


            Des améliorations timides


Actuellement, il faut quand même avouer que les conditions de la femme dans la Région Sud-est commencent timidement à s’améliorer, grâce aux différentes associations qui œuvrent pour aider les femmes à sortir de la précarité (cet article en montre un exemple). Il s’agit surtout de les aider à subvenir elles-mêmes à leurs besoins, à cultiver un esprit d'entreprenariat et de leadership. Grâce à diverses initiatives, les femmes commencent à oser faire entendre leur voix dans leur communauté et de gagner le respect des hommes.  Appuyées par le PNUD notamment, ces associations ont divers buts qui comprennent entre autres la meilleure prise de responsabilité de l’administration dans la mise à jour et l’application des textes, de la promotion et de la facilitation de l’éducation des filles, de mobilisation de ressources pour appuyer davantage l’autonomisation des femmes, de davantage d’appui des chefs traditionnels dans le plaidoyer pour la promotion des droits de la femme et de plus d’initiatives de développement et de solidarité de la part des femmes.

L’accès à l’éducation est assez encourageant pour les filles, même si beaucoup considèrent encore qu’elles n’ont pas vraiment besoin d’aller au-delà du baccalauréat parce qu’elles devraient se marier tôt pour ne pas finir vieilles filles (mon cher prof de sciences  naturelles était un grand défenseur de cette idée). En outre, de plus en plus de jeunes filles se lancent dans une carrière et on sent d’ailleurs le désir d’évoluer et d’aller au-delà des limites que la société a posées au sexe féminin. D’ailleurs, la région voit déjà des postes à décisions tenus par des femmes, même si leur nombre est encore très bas par rapport aux hommes. Je tiens ici à saluer spécialement la maire actuelle de Farafangana et toutes ses réalisations en matière d’infrastructures (notre ville en avait bien besoin m’dame, merci.).  En outre, certains chefs traditionnels semblent ouverts à faire évoluer les mœurs pour donner aux femmes le respect qu’elles méritent dans la société, même si de gros efforts restent  fournir aller au-delà des grands discours et passer à l’action.

Enfin, bien que les groupements et associations des femmes soient déjà en place, aucun ne se soucie profondément de la question de l’égalité des genres. Bien entendu, on aborde le sujet mais seulement en surface. Pourtant, c’est ce manque de parité entre les deux sexes qui est la racine de tous les problèmes que j’ai énoncés plus tôt. A mon avis, c’est parce que le concept de genre est occidental et que dans un souci de conservation des valeurs traditionnelles malgaches (que beaucoup considèrent comme parfaites, intouchables et sans défaut), beaucoup nient que le pays fait vraiment face à des problèmes y afférents. En outre, le féminisme est encore très mal jugé, puisque considéré comme une lutte contre les hommes et donc confondu avec le sexisme. Pourtant, la région Sud-est de Madagascar gagnerait beaucoup à avoir de associations féministes en son sein, pour arriver réellement à améliorer rapidement la situation des femmes non pas seulement au niveau financier, mais aussi au niveau politique, économique, culturel, personnel, social et juridique. Pour ce faire, il ne faut pas oublier d’inclure les hommes à cette cause.
Pela

Sources:
http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=33225:mouvement-feministe-inexistant-a-madagascar&catid=64&Itemid=113
http://www.madagascar-tribune.com/La-societe-matriarcale-et-l,21019.html

mercredi 16 août 2017

La provocation dans les clips malgaches : où va-t-on ?

août 16, 2017 1 Comments
Etant une grande amatrice de clips malgaches de tous les genres, comme beaucoup sans doute, je me suis aperçue d’un phénomène de plus en plus grandissant : la provocation de la part des artistes. Que ce soit du côté vestimentaire, des paroles ou encore du scénario, on voit aujourd’hui que les malgaches ont de moins à moins de pudeur et font dans la provoc', que ce soit à travers les gestes ou les vêtements.  Bien entendu, ce sont surtout les femmes et les jeunes filles qui sont concernées par ce phénomène d'hypersexualisation. 
Légende: Capture d'écran du clip "Samby tia", de la chanteuse Arnaah, dont la sortie sur Youtube a suscité de vifs débats, notamment à cause de ses tenues jugées "trop osées" 

Les chanteuses tropicales souvent pointées du doigt

Autant ne pas y aller par quatre chemins : ce sont surtout les chanteuses tropicales qui ont tendance à être pointées du doigt lorsqu’on parle de provocation. Selon une analyse toute personnelle, 90% au moins d’entre elles ont déjà figuré en tenue jugée « provocante » dans un vidéo clip, se trémoussant joyeusement au rythme d’une musique endiablée. Si certaines se contentent de porter une robe un brin trop courte, d’autres n’hésitent pas à carrément enlever la robe et à ne défiler qu’avec ce qu’il y a dessous. Je me souviens particulièrement d’un clip qui a fait un tollé général à sa sortie, la jeune chanteuse arborant des tenues très légères et mettant en valeur son fessier très peu recouvert à force de sauts et de coups de reins aguicheurs. Coquin n’est-il pas ? Mais aujourd’hui, se mettre quasiment à oilpé dans un clip n’est pas réservé qu’à la musique « mafana ». En effet, de plus en plus de chanteurs(ses) RNB, Dance hall, etc.… N’hésitent pas à prendre des danseuses et figurantes qui n’ont pas froid aux yeux, et je dirais même plus pas froid tout court au vu de la légèreté de leurs tenues (en même temps, le twerk est connu pour ses vertus en tant que source de chaleur) pour les faire danser de manière toujours de moins en moins conventionnelle. Bien entendu, il y a aussi les scénarios provocants et les mises en scène que personne n’aura osé faire passer dans une chaîne malgache il y a encore quelques années.

Se dénuder : une évolution de la société ou une stratégie marketing ?

A la vue de ses chairs bien galbés exhibées sans pudeur aucune au petit écran, beaucoup s’insurgent : « Où est passé la pudeur ? » « N’a-t-elle pas de père ni de frères ? » « C’est à l’encontre de la culture malgache ! » « C’est de la prostitution ! » - Tels sont les arguments les plus souvent évoqués par ceux qui n’approuvent pas. Les autres, par contre, arguent  que c’est pure hypocrisie de critiquer les artistes malgaches qui le font alors que quand ce sont des stars comme Beyoncé ou encore Jennifer Lopez, on ne fait pas preuve du même esprit critique. D’autres encore pensent que c’est dans « démodé » de s’insurger pour une absence de jupe ou pour un décolleté (trop) profond dans un clip... « Hé, après tout, on est en 2017 ! » affirment-ils, un brin moqueurs envers ces culs serrés qui ne comprennent rien aux clips des jeunes qui ont le swagg… Il est vrai qu’on est loin des années où le corps de la femme, jugé avec méfiance, devait être caché sous une jupe longue bien sage et des chemisiers au col boutonné au ras du cou. Aujourd’hui, la beauté féminine, plus encore, son pouvoir sexuel, est reconnu. L’industrie de la musique et du cinéma (à ne citer qu’eux), l’ont bien compris et s’en servent pour nous bombarder d’images de starlette sexy, qui s’assument, qui sont « heureuses » ! Et c’est une stratégie marketing qui marche : plus il y a de la provocation et de la chair nue, plus il y a des chances de se faire voir et de vendre. Si faire l’apologie du corps de la femme est louable, il est cependant indéniable que l’industrie du divertissement a des intentions moins innocentes. A l’échelle mondiale, une étude a prouvé que le nombre de vidéos « provocantes » est en augmentation à cause des études en marketing qui ont démontré que les adolescents contrôlaient le portefeuille familial.  L'industrie sait qu'elle fera de l'argent en les ciblant. A Madagascar, on aime bien « être dans le coup », « faire comme tout le monde » et hop, c’est comme ça qu’on se retrouve maintenant à regarder d’innombrables clips dont certains frisent l’obscénité.

Où va-t-on ?

Entant que revendicatrice acharnée du droit de la femme, je ne suis absolument pas contre le fait qu’elle puisse disposer de son corps comme bon lui semble. C’est parfaitement sain, puisque cela nous permet de nous épanouir, à condition de faire fi des diktats insensés de la mode. Mais selon moi, il faut garder en tête cette citation de Simone de Beauvoir : «  Une femme libre est exactement le contraire d’une femme légère ». Se dénuder à la télé, offrir son corps au regard du monde, cela peut entrainer à véhiculer le message que pour être beau et connu, il faut être un objet sexuel.  On ne valorise que l'aspect sexuel de l'être humain, oubliant les autres caractéristiques, dont l'intelligence, la discussion. Et de plus en plus de jeunes malgaches, filles ou garçons, se définiront de plus en plus par leur potentiel de séduction, et non par leurs véritables atouts. En outre, en dehors de considérations culturelles, il faut également penser au fait que cette hyper sexualisation des femmes dans les médias conduit à faire de l’apparence physique le seul passeport pour une vie meilleure. Si les artistes malgaches, en particulier les femmes, veulent faire des clips « modernes », il faut se trouver vers d’autres méthodes que celle du nudisme. Et ce n’est vraiment pas faute de talent, nombreuses sont celles qui ont une réelle fibre artistique et la diversité de nos cultures (tortiller du fessier, on le fait depuis longtemps, quand le mot twerk n’existait même pas !) fait de notre île un véritable gisement d’art. Il ne reste plus qu’à l’exploiter comme il faut…
Pela  

vendredi 11 août 2017

I Bina - Auguste Rajaonarivelo

août 11, 2017 0 Comments

Résumé:

L’histoire se passe à Farafangana, une ville située dans le sud-Est de Madagascar dans les années 30. Elle relate la romance entre un jeune homme Andriabakara nommé « Bina » et sa fiancée Antaifasy « Kemba ». Tout commence quand Bina se voit contraint de poursuivre ses études dans la capitale, à Antananarivo, laissant sa jeune promise face aux « tentations » de leur petite ville. Mais les deux tourtereaux se jurent fidélité, ce qui pour Kemba, signifie rester vierge jusqu’à ce que Bina revienne et officialise leur union.

Crédit photo: IPR 

Critique

En gros, i Bina est une histoire assez classique, l’auteur ne reste pas à la relation entre les deux protagonistes mais s’étend sur d’autres sujets variés : la religion, la morale, l’argent…Ce qu’il y a de plus beau dans ce livre, c’est la plume d’Auguste Rajaonarivelo : lyrique, délicieusement imagée et désuète, pleine de métaphores … Bref, un auteur malagasy pur et dur, comme on les aime.  En effet, si l’histoire reste plutôt classique, avec des intrigues amoureuses et tout le tremblement, la prose elle, est remarquable. Auguste Rajaonarivelo est un virtuose, réussissant à nous embarquer dans son livre avec sa manière d’écrire hors du commun. Maintenant, il faut prendre en contexte que certains principes défendus dans le livre sont plutôt désuets mais cela nous permet de nous plonger dans ce Madagascar des années 30 dont, personnellement, je connais peu de choses. Il m’a permis d’entrevoir les problèmes auxquels la société était confrontée à l’époque, notamment ceux des jeunes et la sexualité ainsi que la montée du christianisme et son influence sur les moeurs.  A noter que ce roman a été récompensé par le prix "Les Belles-Lettres" en 1933.

Mais il y a une deuxième raison qui me fait aimer particulièrement ce petit roman : c’est le lieu où il se déroule. Farafangana est en effet ma ville natale et c’est pour moi un pur délice de redécouvrir au fil des pages des quartiers familiers comme Ambatoabo, Mahafasa, Impitiny… Mais à une autre époque, ce qui me fait voyager dans le temps (oui, j’ai une imagination galopante). La partie avec le voyage de Bina et ses compères, qui ont fait la route à pied de Farafangana à Antananarivo est également très intéressante à lire, puisque l’auteur décrit chaque étape avec brio… ça donnerait presque envie de faire ses valises et de tailler la route avec eux !
Bref, je conseille I Bina a tous ceux qui veulent lire un bon roman malagasy, bien écrit et bien ficelé. L’histoire est intéressante et c’est l’occasion de redécouvrir un de ses livres de notre adolescence, car oui, pour ceux qui ont suivi un programme malagasy au collège, « I Bina » était un des livres du programme en classe de quatrième. 
Pela 

vendredi 4 août 2017

Qu’apprend-t-on à nos enfants ?

août 04, 2017 0 Comments

INEGALITES DES GENRES A L'ECOLE


Ça fleure bon les vacances… Les écoliers en tabliers colorés ont déserté les rues, et il en est de même pour leurs aînés du lycée et du collège. Heureusement, j’ai quitté les bancs de l’école depuis très longtemps, ce qui ne m’empêche pas de me sentir nostalgique de ces veilles années d’insouciance. Ah, ces moments délirants à jouer à cache-cache avec les autres à la récré, les grands goûters, les excursions, les classes vertes … Mais aussi, les idées stéréotypées qu’on nous a collées sur les garçons et les filles. Et oui, je vois la petite bête partout hein, oui m’dame, je l’ai dit dans ma présentation : les inégalités des genres est mon sujet de prédilection… et je m’y tiens !
On ne dirait pas comme ça, mais il me revient maintenant qu’une foule de choses apparemment anodines alors, que l’on nous poussait à faire ou à penser ne faisaient que refléter l’inégalité qu’on retrouve toujours entre les deux sexes. Premier exemple : le ménage. Oui, quelque chose de très trivial, mais voyez plutôt : comme de coutume, les tours de ménages étaient répartis dans des groupes mixtes et la plupart du temps, les garçons se permettaient d’ « oublier » de le faire. Un comportement qui, s’il était puni dans les petites classes, n’attirait plus tellement les foudres des profs à mesure que la classe était élevée. Ainsi,  au lycée, je me souviens bien des garçons s’esquivant malicieusement quand la sonnerie marquait la fin des cours, laissant le ménage aux bons soins de nous autres, les filles. Bien entendu, nous râlions un peu pour la forme mais ça n’allait jamais très loin. Quand aux profs, lorsqu’ils l’apprenaient, la réaction était souvent un petit haussement d’épaules désabusé, l’air de dire « Ah, ces garçons ! ».
Je me souviens également de la tendance quasi-automatique des profs à plus solliciter les filles pour les matières littéraires et les garçons pour les maths et autres. Ce genre de comportement est pourtant préjudiciable pour les gosses qui mettent à l’œuvre ce que l’on appelle des prophéties auto réalisatrices (Marry, 2003, Chaponnière, 2006). Les travaux manuels et autres activités parascolaires étaient également répartis de sorte à ce que les filles s’occupent de ce qui est jugé « féminin » : décoration, coloriage, tressage… Et aux garçons les tâches qui nécessitent de la force. Je me souviens particulièrement d’un cours de cuisine où les filles s’occupaient surtout de la préparation tandis que les garçons n’étaient appelés à participer que pour porter les ustensiles lorsque ceux-ci étaient lourds. Et encore, j’ai eu la chance de fréquenter une école où les méthodes d’enseignements étaient plutôt mixtes dans leur ensemble. Mais dans certains établissements, j’ai constaté quelques éléments du règlement qui m’ont fait tiquer : le tablier était réservé…Aux filles seulement. J’avoue ne pas comprendre : les filles ont-elles  un corps si « tentant » que ça pour qu’il faille le cacher et pas celui des garçons ? Est-ce que les filles risquent plus d’être distraites par les vêtements à la mode si elles ne portaient pas de tablier ? Ne prend-t-on pas le risque d’inculquer aux garçons que si une fille ne se « couvre pas », c’est qu’elle « désire » se faire remarquer et est donc ouverte aux comportements irrespectueux ?
Je ne dis pas que les enseignants et les adultes autour de nous pensaient à mal, non je parle juste ici de sexisme inconscient qui est tellement présent autour de nous que ça paraît normal. Même les parents s’y mettaient, réprimandant les filles quand elles revenaient de l’école avec des vêtements tâchés et tout parce qu’elles se seraient livrées à des « jeux de garçons ». Ces derniers aux contraire, ne sont pas rabroués pour çà car les petits garçons, ça se salit, c’est normal hein. Et si un garçon aime traîner avec les filles, et participer à leur jeux, malheur à lui, il se verra étiqueter de « sarim-bavy »* ou encore « vavivavy toetra »**, ce qui est assez mal vu. Alors qu’une fille jugée un peu « brutale » ou « garçon manqué » ne sera pas vue avec autant de mauvais œil (mais nous en reparlerons une autre fois). Avoir un comportement de garçon ok, ça passe, mais de fille ?!!! Vade retro ! (Mais je m’égare).
Des exemples comme ceux-ci, j’en ai encore à foison : les représentations de la femme dans les livres de lecture étaient toujours les mêmes : celle de la maman, qui cuisine, s’occupe du ménage et des enfants. Le papa : il va au bureau ou aux champs, fait bouillir la marmite et protège son foyer. Bref, une image sans cesse collée aux yeux des enfants qui vont les pousser à croire que les femmes sont réservées à une sphère plutôt passive et intérieure (sa maison) du quotidien tandis que les hommes sont plus dans l’action. De quoi leur donner une image stéréotypée d’eux-mêmes et de conditionner déjà leurs relations avec l’autre sexe.

Pour aller plus loin

Si vous désirez aller encore plus loin dans la recherche d’informations sur l’inégalité des genres dans le milieu scolaire à Madagascar, le lien ci-dessous (en fin d’article) pointe vers une étude nommée « Genre et scolarisation à Madagascar » par Bénédicte Gastineau et Noro Ravaozanany. Je m’en suis servie de source pour écrire ce billet et elle recèle une véritable mine d’informations qui aide à mieux appréhender le problème. Je vous laisse avec quelques extraits :
« La propension à reproduire des rôles stéréotypés dans le partage des tâches et des activités à l’école est frappante : les filles sont chargées du balayage et nettoyage des salles de classes et les garçons sont sollicités dès qu’il s’agit de déplacer les tables, ou de transporter des choses lourdes. Ces derniers sont aussi plus souvent désignés comme chef de classe car on les considère comme ayant une capacité « naturelle » à diriger, reflet de leur futur rôle social de chef de famille et d’autorité dans la communauté »
« Néanmoins, quelle que soit l’école, les enseignant-e-s sont presque unanimes pour affirmer que les filles qui poursuivraient leurs études doivent se diriger vers des carrières dites féminines, considérées comme moins difficiles et moins utiles qui sont donc moins valorisées socialement et financièrement que celles vers lesquelles on pousse les garçons. »
Lien vers l’enquête : Genre et scolarisation àMadagascar
Pela 

Femme seule + 0 enfants = Vieille fille : Une équation erronée ?

août 04, 2017 0 Comments
Crédit photo: 123RF

Avant de m’attaquer à ce gros morceau qu’est la femme célibataire de la trentaine ou plus et sans enfants dans la société malgache, je tiens à préciser que je n’ai pas beaucoup voyagé. Je n’ai pas non plus pu effectuer une enquête approfondie sur le sujet en dehors de ma petite localité. Les conclusions ainsi que les analyses que je vais livrer ici sont donc à prendre selon ce contexte. Je n’aime pas les généralisations et je voudrais faire garder à l’esprit de mes lecteurs qu’il s’agit de mon avis (subjectivité donc), étayé par quelques enquêtes et interview effectués ici et là et qu’ils sont libres d’exprimer également le leur pour orienter un débat constructif. Sur ce, commençons.

 Les stéréotypes ont la vie dure


Il y a des femmes qui ont la trentaine bien sonnée et qui n’ont ni mari, ni enfants soit par choix, soit parce que les aléas de la vie les a menées à cette situation. Mais il paraît très difficile pour la société malgache d’accepter le fait que cela puisse satisfaire ces femmes et qu’elles en fassent un mode de vie. Dans la culture malgache, il faut savoir qu’avant tout, une femme est une mère. Dans certaines régions, même quand elle n’a pas d’enfants, ses nièces et ses neveux sont considérés comme les siens par procuration. Qu’une femme ait choisi de ne pas se marier est presque de l’ordre de l’aberration pour la société. Ce qui fait que ces célibataires souffrent de jugements stéréotypés dont le plus répandu est qu’elles sont « Kizitina » ou irritables, ou souffriraient d’un caractère qui ferait fuir les hommes. Ainsi, sans même connaître le fin mot de l’histoire, on leur rejette tout de suite la faute. Les plus extrêmes vont même jusqu’à les accuser de se comporter de manière inconvenante, ou indigne pour une femme qui désirerait un foyer, et ce, sans aucune preuve tangible. Ainsi, on les catégorise tout de suite de vieille fille ou vieille demoiselle, se moquant gentiment (ou pas) de leur coquetterie et les soupçonnant de mener une vie en bâtons de chaise. Il est également courant de les traiter de « mama sauce »-femmes couguar qui préfèreraient les hommes plus jeunes qu’elles. Dans tous les cas, on accuse ces célibataires de quelque chose, comme si ce mode de vie ne pourrait être que la conséquence d’une quelconque faute qu’elles auraient commise. Pour peu que cette femme aie des amis masculins et fasse montre d’un peu de coquetterie et on lui accordera de facto l’oscar de la croqueuse d’homme de service. Pourquoi j’insiste sur la question de la trentaine ? Parce qu’à partir de là, beaucoup considèrent qu’il fait bon ton de « se ranger » et pondre enfin quelques gosses. Non pas qu’il  y ait de mal à cela, quand il s’agit d’un choix mûrement réfléchi et non fait à cause de la pression de la société.

Crédit photo: 123RF

 Des femmes incomprises

J’ai questionné quelques personnes sur leur avis par rapport à ces femmes célibataires sans enfants, à la trentaine passée et voici un petit condensé des réponses que j’ai eues :
« Je trouve ça triste. Je pense que ces femmes n’ont pas trouvé l’amour et que maintenant qu’elles commencent à vieillir, c’est trop tard pour elles pour se marier » - Sahondra*, 35 ans, mariée, 2 enfants.
« Ce n’est pas normal, comment compte-t-elles perpétuer leur lignée ? N’ont-elles pas peur de ne jamais avoir d’enfants ? Elles devraient vite remédier à cette situation au lieu de prendre la vie comme un jeu. » * Teddy, 28 ans, marié, pas d’enfants.
«  Je ne comprends pas qu’on puisse choisir de ne pas se marier et de ne pas enfanter. Je veux dire : n’ont –elles pas peur de la solitude ? Peut être qu’elles pensent rester jeunes indéfiniment et n’ont pas conscience que le temps passe » - Gaël, 25 ans, sans enfants, célibataire.
«  Elles n’ont pas conscience que c’est dangereux, pour les hommes, ça va, même s’ils ont pris de l’âge, ils peuvent trouver une épouse quand même. Ce n’est pas le cas pour nous les femmes, à un certain âge, on risque de finir vieille fille ». Annie, 45 ans, mariée, 2 enfants.
« Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça, il vaut mieux être seule que mal accompagnée non ? » Iary, mariée, sans enfants.
Bref, autant de réactions qui montrent que beaucoup considèrent que pour une femme, ne pas avoir d’enfants et ne pas ne pas se marier ne peut pas être un choix délibéré. Et quand on considère quand même que ça l’est, ce n’est pas jugé convenable. A mon avis, sous tous ces avis négatifs et ces rejets, c’est surtout le fait de ne pas pouvoir cerner ces femmes qui dérange autant. En effet, selon l’étude une étude du PNUD[1], la société malgache considère toujours que la femme est un « fanaka malemy », c'est-à-dire comme un meuble fragile et qui a besoin de la protection d’un homme. Qu’elle puisse sortir de cette condition et affirmer son indépendance que ce soit du point de vue financier ou affectif, est encore parfois jugé comme une arrogance, une prétention. Le fait est que: la société ne sait pas à quelle place mettre ses femmes et les regardent donc d’un œil méfiant, voire hostile, quand ce n’est pas avec pitié. Pourtant, le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants peut être parfaitement assumé pour certaines femmes, qui se concentrent par exemple sur leur carrière ou qui sont satisfaites de leur situation actuelle telle qu’elle est. Il reste un long chemin pour convaincre la société que fonder une famille n’est pas une obligation pour les femmes et qu’elles peuvent faire le choix de se concentrer sur d’autres priorités sans qu’il faille leur demander des comptes. Mon avis est que le fait de voir ces femmes se faire systématiquement de « veille fille » est encore symptomatique d’une inégalité homme/femme dans la société malgache puisque l’équivalent au masculin n’existe pas. En effet, un homme, même passé la trentaine et qui n’a pas encore d’enfants même s’il est poussé à se caser, ne fait pas l’objet de critiques aussi vives.




[1] PNUD, « Genre, développement humain et pauvreté à Madagascar », 2003.

mercredi 2 août 2017

Matokisa valeur et avale des couleuvres !

août 02, 2017 0 Comments
Imaginez: une petite vielle côtière, exotique, avec ses maisons en falafa, ses plages de sable blanc et son soleil toute l'année. Un décor idyllique, où tout le monde à l’air de s’entendre plus ou moins bien. Approchez-vous encore un peu, tendez l’oreille et vous verrez les nombreuses zones d’ombre du tableau, entendrez le crissement des ongles sur le tableau noir.
Il s'agit sans doute de la mise en contexte la plus bâclée et vague que vous ayez jamais lue et pourtant, c'est exactement ce que j'ai ressenti en déménageant de cette petite ville de province apparemment sans histoires il y a quelques années. Bienvenue à Infidelitéland, où sous des dessus plutôt normaux et classiques, les relations hommes-femmes sont restées moyenâgeuses. Pour preuve, je vais vous présenter le schéma classique du foyer familial tel que je l'ai vu dans ces exotiques contrées. Le père, celui qui fait bouillir la marmite, qui prend les décisions importantes et qui porte la culotte... Et qui trompe joyeusement sa femme avec une fille plus jeune, de préférence habillée comme une péripatéticienne et entretenue par Monsieur. La mère: celle qui travaille aussi ou reste au foyer pour s'occuper des enfants, qui est généralement consciente de son état de cocue mais qui...Ne fait rien. Les enfants : certains sont au courant des galipettes de papa avec une autre dame que maman. Mais c’est tabou d’en parler, ce ne sont pas leurs affaires mais ceux des grandes personnes.
Quand j'ai osé m'insurger de cette situation, arguant que c'était un comportement indigne d'un père de famille, j'ai récolté au pire des rires moqueurs devant ma "naïveté", au mieux des soupirs désabusés. "On ne change pas les hommes. C'est dans leur nature. Tant qu'il fait bouillir la marmite, qu'il couche dans mon lit le soir et qu'il veille sur ses gosses, c'est l'essentiel. Il finira bien par se fatiguer. De toute manière, je suis l'épouse, je n'ai pas à m'en faire pour ces passades. J'ai déjà MA place". Pour faire plus court, une définition de la célèbre expression malgache "Matoky valeur" (« Savoir ce que l’on vaut »), ou du moins l’interprétation de ce que certaines femmes en font. Mais le ton sur lequel ce discours est déclamé varie: si certaines l'énoncent avec fierté, d'autres le font avec une certaines lassitude dans la voix, quelques unes encore le font à la manière d'une élève qui récite docilement sa leçon. Mais elles ont toutes un point commun qu’elles semblent vouloir ignorer ou cacher : la douleur.
Ce qui m'amène à me poser des questions sur le réel statut que l'épouse revêt dans une telle société.

 H2- De « Matoky valeur » à ne plus rien valoir du tout


« Matoky valeur » est devenue une expression courante dans la culture malgache. Elle est souvent employée pour dire que l’on n’a pas peur de la concurrence, et dans le cas des épouses cocufiées, il s’agit d’une prise de position aux multiples revers. En effet, ces femmes qui se rassurent en disant qu’elle ont déjà un foyer et que ce n’est pas une midinette qui va tout faire capoter ont tendance à rester globalement passives. Elles se retiennent d’agir, de demander des comptes à leur mari ou encore d’aller chercher des noises à leur rivale, sauf en cas de flagrant délit. Elle se rassure en se disant que son mari n’est infidèle que pour s’amuser, pour affirmer sa virilité, parce que c’est un homme et que c’est normal. « Lehilahy tsy maintsy maditra e ! »*. C’est aberrant mais lorsque vous voyez le nombre d’époux infidèles que peut contenir une si petite ville, vous voyez que de telles absurdités peuvent s’avérer réelles. Si ce n’est pas l’entourage et la société qui pousse la femme à rester impassible et souffrir en silence par ce qu’elle doit « faire confiance à sa valeur », c’est le mari lui-même. En effet, combien de petits copains et de maris, n’ont pas rassuré leur femme ou leur petite amie en eur servant le discours insipide du : « Tu es la seule, tu es ma femme, tu n’as pas à avoir peur de ces minettes. Ce n’est qu’un jeu pour moi. Tu es la mère de mes enfants, je ne te quitterais jamais pour elles, matokisa valeur** ! ». Bref, un charabia manipulateur qui réduit l’infidélité à un simple jeu sans trop de conséquences, auquel la femme ne doit pas prêter attention. Mais si l’épouse à tellement de « valeur » : pourquoi la tromper ? Pourquoi lui faire subir cette humiliation ? Trahir sa confiance ? Autant de questions que beaucoup n’hésitent pas à répondre de manière sexiste : « Les hommes sont comme çà, et les femmes doivent s’y faire ». A mon avis, la réponse devrait pourtant être simple : le meilleur moyen de traiter son épouse à sa juste valeur est de ne pas la tromper.

H2- De la tolérance à la souffrance


Un autre concept qui m’a fait tiquer alors que j’essayais de comprendre cette situation d’infidélité généralisée et apparemment tolérée dans cette chère petite ville provinciale : la tolérance. La tolérance est une des choses que l’on martèle aux femmes qui vont se marier. Pour avoir un foyer, il faut être prête à pardonner, à tolérer certaines choses. En soit, je ne suis pas contre le concept de sacrifier un peu de soi pour le bien de sa famille. Mais les choses peuvent dégénérer quand on fait de ce concept une arme pour justifier les maltraitances faites envers les femmes. Ainsi, lorsqu’on apprend aux jeunes filles qu’elles doivent s’armer de patience et tolérer que parfois leur mari puisse être volage car c’est dans sa nature, c’est la porte ouverte à toutes sortes de dérives. De fil en aiguille, la tolérance devient impuissance et l’épouse entre dans une spirale infernale où elle n’aura même plus son mot à dire sur le comportent de son mari. En apprenant aux jeunes femmes que son mari peut la tromper un jour mais qu’elle doit pardonner et oublier pour le bien de sa famille, on élude totalement ses sentiments, sa souffrance, son ressenti. On la cantonne à un rôle de mère qui doit s’occuper de ses enfants, qui doit pardonner pour le bien de sa famille, et surtout se taire. On oublie qu’avant tout c’est une personne avec son intégrité, qui s’est mariée non pour se sacrifier à l’autel du pardon et de la tolérance, mais pour fonder une famille, s’épanouir auprès d’un mari qui la respecte.
*Lehilahy tsy maintsy maditra : C’est dans la nature des hommes d’être volages

**Matokisa valeur : Aie confiance en ce que tu vaux