jeudi 24 août 2017

# CHRONIQUES # CULTURE

Etre une femme dans le Sud-Est de Madagascar



Comme je l’ai mentionné dans un de mes anciens articles, je suis originaire du Sud-Est de Madagascar, plus précisément je suis Antaisaka. J’ai pourtant grandi à la capitale et mes passages dans ma ville natale, Farafangana se résumait aux séjours pendant les vacances scolaires. Ce n’est qu’il y a quelques années que toute ma famille y a déménagé et j’ai donc pu y passer toute mon année de Terminale. Je n’explique pas tout ceci pour le plaisir de raconter ma vie et les flux migratoires de notre petite couvée (haha. Blague d’ornithologue. Désolée). Non, si cette mise en contexte était nécessaire, c’est pour expliquer que cette chronique ne se base pas seulement sur les statistiques et les études que j’ai pu consulter en faisant des recherches, mais également sur mon vécu et sur ce que j’ai pu observer au sein de cette société profondément patriarcale.

Alors, être une femme dans le Sud-est de Madagascar, qu’est ce que ça implique ?

Injustices sociales

Dans la région du Sud Est de Madagascar, il faut savoir que la femme subit encore de nombreuses injustices sociales, que ce soit du fait des us et coutumes ou encore des vieilles traditions qui sont tellement ancrées dans le quotidien qu’elles sont tombées dans la banalité. Le premier exemple tangible est le non droit à la succession. En effet, dans notre belle et exotique région, les femmes n’ont pas droit à l’héritage parental. La succession des biens est entièrement dévolue aux garçons, et il arrive également qu’une femme mariée soit répudiée par son époux et parte les mains vides. Malgré le partage équitable des biens communs prévus par la loi, nombreuses sont celles qui, à la suite de la séparation avec leurs maris, doivent prendre leurs enfants sous les bras et partir sans rien d’autre que leurs vêtements sur le dos. En effet, sans engagement légal, aucune règle de bienséance  ou de société ou de simple bon sens n’oblige l’homme à assumer certaines obligations envers femme et enfants qu’il aurait quitté.

Pendant les événements importants comme par exemple les décès qui donnent lieu au « doboky » (veillée mortuaire), les femmes n’ont pas le droit de se mettre à table avec les hommes. Même au quotidien, il arrive que cette habitude dégradante de ne pas admettre les femmes à la même table que les hommes soit encore observée. Je me souviens de certaines festivités familiales où, parce qu’il n’y avait pas assez de tables, toutes les filles ont été enjointes à s’asseoir sur des nattes pour que ces messieurs puissent poser leur délicat postérieur sur les chaises. Pour la galanterie, on repassera. Bien entendu, les tâches ménagères sont entièrement dévolues aux femmes tandis que le droit de manger en premier est réservé à l’homme. Dans une famille, les décisions reviennent toujours au hommes, même si l'aînée est une fille. La tradition veut que la fonction de "chef" soit tenue par un individu de sexe masculin, de manière obligatoire et peu importe si ce n'est ni le plus sage ni le plus expérimenté. 

En outre, le concubinage et la polygamie des hommes sont quasiment admis par la société, ce qui fait que les cas d’abandon de familles sont très nombreux et sont mêmes tombés dans la banalité. Bien entendu, là où les hommes s’en sortent avec des petits haussements d’épaule désabusés, je vous laisse imaginer l’opprobre et les insultes auxquels une femme aura droit si elle a le malheur de fauter envers son mari ou concubin.  La culture du « fandeferana » (tolérance) et de la soumission a tellement été battue et rebattue aux oreilles des femmes depuis leur jeune âge qu’elles ne s’étonnent plus de voir leurs maris les tromper « de temps en temps », tandis que les garçons semblent élevés dans l’idée que leur masculinité ne peut s’exprimer qu’à travers le nombre de leurs conquêtes et leur capacité à fourrer leur appendice viril dans un quelconque orifice couvert de poils (Des mots vulgaires qui recèlent hélas rien que la vérité). Et ce, qu’ils soient mariés ou pas. Bien entendu, s’il est communément admis qu’un homme qui trompe sa femme se fera pardonner relativement facilement, un mari qui reste avec une femme qui l’a trompé avec un autre homme sera à jamais étiqueté par tous comme un pauvre type faible qui est en ménage avec une pute. Et je pèse mes mots.

Traditionnellement, c’est l’homme qui va demander la main de sa future épouse aux parents de cette dernière, au cours d’une cérémonie où il pourra enfin amener cette dernière à s’installer avec lui. Dans cette logique, on nous apprend, à nous les filles, que même si le mari trompe sa femme avec un harem entier, tant qu’il ne nous a pas « ramené » chez nos parents, cela veut dire qu’il ne veut pas se séparer et de facto, qu’il tient encore à nous.  Pour ce que j’en dis, c’est juste une tradition qui vise à empêcher la femme de faire le moindre acte de rébellion envers une situation qu’elle ne tolèrerait pas.

En outre, les décisions communautaires sont généralement prises sous l’égide des hommes et il est assez rare que les femmes aient voix au chapitre. Certains rétorqueront  que rien ne les en empêche et même si en pratique, c’est vrai, la réalité est plus complexe. Il faut savoir qu’au sein de cette société, la voix des femmes est très peu sollicitée, elles ont l’habitude d’être brimées, cantonnées à des tâches avilissantes, à la cuisine et à l’entretien du foyer qui est censé être leur juste place. Dans ces conditions, les filles sont habituées à évoluer dans une société où tout ce qui est considéré comme « important » revient aux hommes. Comment, après cela, peut-on leur inculquer le fait qu’elles peuvent avoir une voix, un avis, des idées qui comptent ? Alors se contenter d’accuser les femmes de la région Sud-est de se complaire dans leur situation est de la mauvaise foi, puisque cela ne tient absolument pas compte du contexte dans lequel elles ont évolué.


            Des améliorations timides


Actuellement, il faut quand même avouer que les conditions de la femme dans la Région Sud-est commencent timidement à s’améliorer, grâce aux différentes associations qui œuvrent pour aider les femmes à sortir de la précarité (cet article en montre un exemple). Il s’agit surtout de les aider à subvenir elles-mêmes à leurs besoins, à cultiver un esprit d'entreprenariat et de leadership. Grâce à diverses initiatives, les femmes commencent à oser faire entendre leur voix dans leur communauté et de gagner le respect des hommes.  Appuyées par le PNUD notamment, ces associations ont divers buts qui comprennent entre autres la meilleure prise de responsabilité de l’administration dans la mise à jour et l’application des textes, de la promotion et de la facilitation de l’éducation des filles, de mobilisation de ressources pour appuyer davantage l’autonomisation des femmes, de davantage d’appui des chefs traditionnels dans le plaidoyer pour la promotion des droits de la femme et de plus d’initiatives de développement et de solidarité de la part des femmes.

L’accès à l’éducation est assez encourageant pour les filles, même si beaucoup considèrent encore qu’elles n’ont pas vraiment besoin d’aller au-delà du baccalauréat parce qu’elles devraient se marier tôt pour ne pas finir vieilles filles (mon cher prof de sciences  naturelles était un grand défenseur de cette idée). En outre, de plus en plus de jeunes filles se lancent dans une carrière et on sent d’ailleurs le désir d’évoluer et d’aller au-delà des limites que la société a posées au sexe féminin. D’ailleurs, la région voit déjà des postes à décisions tenus par des femmes, même si leur nombre est encore très bas par rapport aux hommes. Je tiens ici à saluer spécialement la maire actuelle de Farafangana et toutes ses réalisations en matière d’infrastructures (notre ville en avait bien besoin m’dame, merci.).  En outre, certains chefs traditionnels semblent ouverts à faire évoluer les mœurs pour donner aux femmes le respect qu’elles méritent dans la société, même si de gros efforts restent  fournir aller au-delà des grands discours et passer à l’action.

Enfin, bien que les groupements et associations des femmes soient déjà en place, aucun ne se soucie profondément de la question de l’égalité des genres. Bien entendu, on aborde le sujet mais seulement en surface. Pourtant, c’est ce manque de parité entre les deux sexes qui est la racine de tous les problèmes que j’ai énoncés plus tôt. A mon avis, c’est parce que le concept de genre est occidental et que dans un souci de conservation des valeurs traditionnelles malgaches (que beaucoup considèrent comme parfaites, intouchables et sans défaut), beaucoup nient que le pays fait vraiment face à des problèmes y afférents. En outre, le féminisme est encore très mal jugé, puisque considéré comme une lutte contre les hommes et donc confondu avec le sexisme. Pourtant, la région Sud-est de Madagascar gagnerait beaucoup à avoir de associations féministes en son sein, pour arriver réellement à améliorer rapidement la situation des femmes non pas seulement au niveau financier, mais aussi au niveau politique, économique, culturel, personnel, social et juridique. Pour ce faire, il ne faut pas oublier d’inclure les hommes à cette cause.
Pela

Sources:
http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=33225:mouvement-feministe-inexistant-a-madagascar&catid=64&Itemid=113
http://www.madagascar-tribune.com/La-societe-matriarcale-et-l,21019.html

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