vendredi 4 août 2017

# CHRONIQUES

Femme seule + 0 enfants = Vieille fille : Une équation erronée ?

Crédit photo: 123RF

Avant de m’attaquer à ce gros morceau qu’est la femme célibataire de la trentaine ou plus et sans enfants dans la société malgache, je tiens à préciser que je n’ai pas beaucoup voyagé. Je n’ai pas non plus pu effectuer une enquête approfondie sur le sujet en dehors de ma petite localité. Les conclusions ainsi que les analyses que je vais livrer ici sont donc à prendre selon ce contexte. Je n’aime pas les généralisations et je voudrais faire garder à l’esprit de mes lecteurs qu’il s’agit de mon avis (subjectivité donc), étayé par quelques enquêtes et interview effectués ici et là et qu’ils sont libres d’exprimer également le leur pour orienter un débat constructif. Sur ce, commençons.

 Les stéréotypes ont la vie dure


Il y a des femmes qui ont la trentaine bien sonnée et qui n’ont ni mari, ni enfants soit par choix, soit parce que les aléas de la vie les a menées à cette situation. Mais il paraît très difficile pour la société malgache d’accepter le fait que cela puisse satisfaire ces femmes et qu’elles en fassent un mode de vie. Dans la culture malgache, il faut savoir qu’avant tout, une femme est une mère. Dans certaines régions, même quand elle n’a pas d’enfants, ses nièces et ses neveux sont considérés comme les siens par procuration. Qu’une femme ait choisi de ne pas se marier est presque de l’ordre de l’aberration pour la société. Ce qui fait que ces célibataires souffrent de jugements stéréotypés dont le plus répandu est qu’elles sont « Kizitina » ou irritables, ou souffriraient d’un caractère qui ferait fuir les hommes. Ainsi, sans même connaître le fin mot de l’histoire, on leur rejette tout de suite la faute. Les plus extrêmes vont même jusqu’à les accuser de se comporter de manière inconvenante, ou indigne pour une femme qui désirerait un foyer, et ce, sans aucune preuve tangible. Ainsi, on les catégorise tout de suite de vieille fille ou vieille demoiselle, se moquant gentiment (ou pas) de leur coquetterie et les soupçonnant de mener une vie en bâtons de chaise. Il est également courant de les traiter de « mama sauce »-femmes couguar qui préfèreraient les hommes plus jeunes qu’elles. Dans tous les cas, on accuse ces célibataires de quelque chose, comme si ce mode de vie ne pourrait être que la conséquence d’une quelconque faute qu’elles auraient commise. Pour peu que cette femme aie des amis masculins et fasse montre d’un peu de coquetterie et on lui accordera de facto l’oscar de la croqueuse d’homme de service. Pourquoi j’insiste sur la question de la trentaine ? Parce qu’à partir de là, beaucoup considèrent qu’il fait bon ton de « se ranger » et pondre enfin quelques gosses. Non pas qu’il  y ait de mal à cela, quand il s’agit d’un choix mûrement réfléchi et non fait à cause de la pression de la société.

Crédit photo: 123RF

 Des femmes incomprises

J’ai questionné quelques personnes sur leur avis par rapport à ces femmes célibataires sans enfants, à la trentaine passée et voici un petit condensé des réponses que j’ai eues :
« Je trouve ça triste. Je pense que ces femmes n’ont pas trouvé l’amour et que maintenant qu’elles commencent à vieillir, c’est trop tard pour elles pour se marier » - Sahondra*, 35 ans, mariée, 2 enfants.
« Ce n’est pas normal, comment compte-t-elles perpétuer leur lignée ? N’ont-elles pas peur de ne jamais avoir d’enfants ? Elles devraient vite remédier à cette situation au lieu de prendre la vie comme un jeu. » * Teddy, 28 ans, marié, pas d’enfants.
«  Je ne comprends pas qu’on puisse choisir de ne pas se marier et de ne pas enfanter. Je veux dire : n’ont –elles pas peur de la solitude ? Peut être qu’elles pensent rester jeunes indéfiniment et n’ont pas conscience que le temps passe » - Gaël, 25 ans, sans enfants, célibataire.
«  Elles n’ont pas conscience que c’est dangereux, pour les hommes, ça va, même s’ils ont pris de l’âge, ils peuvent trouver une épouse quand même. Ce n’est pas le cas pour nous les femmes, à un certain âge, on risque de finir vieille fille ». Annie, 45 ans, mariée, 2 enfants.
« Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça, il vaut mieux être seule que mal accompagnée non ? » Iary, mariée, sans enfants.
Bref, autant de réactions qui montrent que beaucoup considèrent que pour une femme, ne pas avoir d’enfants et ne pas ne pas se marier ne peut pas être un choix délibéré. Et quand on considère quand même que ça l’est, ce n’est pas jugé convenable. A mon avis, sous tous ces avis négatifs et ces rejets, c’est surtout le fait de ne pas pouvoir cerner ces femmes qui dérange autant. En effet, selon l’étude une étude du PNUD[1], la société malgache considère toujours que la femme est un « fanaka malemy », c'est-à-dire comme un meuble fragile et qui a besoin de la protection d’un homme. Qu’elle puisse sortir de cette condition et affirmer son indépendance que ce soit du point de vue financier ou affectif, est encore parfois jugé comme une arrogance, une prétention. Le fait est que: la société ne sait pas à quelle place mettre ses femmes et les regardent donc d’un œil méfiant, voire hostile, quand ce n’est pas avec pitié. Pourtant, le choix de ne pas se marier et de ne pas avoir d’enfants peut être parfaitement assumé pour certaines femmes, qui se concentrent par exemple sur leur carrière ou qui sont satisfaites de leur situation actuelle telle qu’elle est. Il reste un long chemin pour convaincre la société que fonder une famille n’est pas une obligation pour les femmes et qu’elles peuvent faire le choix de se concentrer sur d’autres priorités sans qu’il faille leur demander des comptes. Mon avis est que le fait de voir ces femmes se faire systématiquement de « veille fille » est encore symptomatique d’une inégalité homme/femme dans la société malgache puisque l’équivalent au masculin n’existe pas. En effet, un homme, même passé la trentaine et qui n’a pas encore d’enfants même s’il est poussé à se caser, ne fait pas l’objet de critiques aussi vives.




[1] PNUD, « Genre, développement humain et pauvreté à Madagascar », 2003.

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