mercredi 2 août 2017

# CHRONIQUES # CULTURE

Matokisa valeur et avale des couleuvres !

Imaginez: une petite vielle côtière, exotique, avec ses maisons en falafa, ses plages de sable blanc et son soleil toute l'année. Un décor idyllique, où tout le monde à l’air de s’entendre plus ou moins bien. Approchez-vous encore un peu, tendez l’oreille et vous verrez les nombreuses zones d’ombre du tableau, entendrez le crissement des ongles sur le tableau noir.
Il s'agit sans doute de la mise en contexte la plus bâclée et vague que vous ayez jamais lue et pourtant, c'est exactement ce que j'ai ressenti en déménageant de cette petite ville de province apparemment sans histoires il y a quelques années. Bienvenue à Infidelitéland, où sous des dessus plutôt normaux et classiques, les relations hommes-femmes sont restées moyenâgeuses. Pour preuve, je vais vous présenter le schéma classique du foyer familial tel que je l'ai vu dans ces exotiques contrées. Le père, celui qui fait bouillir la marmite, qui prend les décisions importantes et qui porte la culotte... Et qui trompe joyeusement sa femme avec une fille plus jeune, de préférence habillée comme une péripatéticienne et entretenue par Monsieur. La mère: celle qui travaille aussi ou reste au foyer pour s'occuper des enfants, qui est généralement consciente de son état de cocue mais qui...Ne fait rien. Les enfants : certains sont au courant des galipettes de papa avec une autre dame que maman. Mais c’est tabou d’en parler, ce ne sont pas leurs affaires mais ceux des grandes personnes.
Quand j'ai osé m'insurger de cette situation, arguant que c'était un comportement indigne d'un père de famille, j'ai récolté au pire des rires moqueurs devant ma "naïveté", au mieux des soupirs désabusés. "On ne change pas les hommes. C'est dans leur nature. Tant qu'il fait bouillir la marmite, qu'il couche dans mon lit le soir et qu'il veille sur ses gosses, c'est l'essentiel. Il finira bien par se fatiguer. De toute manière, je suis l'épouse, je n'ai pas à m'en faire pour ces passades. J'ai déjà MA place". Pour faire plus court, une définition de la célèbre expression malgache "Matoky valeur" (« Savoir ce que l’on vaut »), ou du moins l’interprétation de ce que certaines femmes en font. Mais le ton sur lequel ce discours est déclamé varie: si certaines l'énoncent avec fierté, d'autres le font avec une certaines lassitude dans la voix, quelques unes encore le font à la manière d'une élève qui récite docilement sa leçon. Mais elles ont toutes un point commun qu’elles semblent vouloir ignorer ou cacher : la douleur.
Ce qui m'amène à me poser des questions sur le réel statut que l'épouse revêt dans une telle société.

 H2- De « Matoky valeur » à ne plus rien valoir du tout


« Matoky valeur » est devenue une expression courante dans la culture malgache. Elle est souvent employée pour dire que l’on n’a pas peur de la concurrence, et dans le cas des épouses cocufiées, il s’agit d’une prise de position aux multiples revers. En effet, ces femmes qui se rassurent en disant qu’elle ont déjà un foyer et que ce n’est pas une midinette qui va tout faire capoter ont tendance à rester globalement passives. Elles se retiennent d’agir, de demander des comptes à leur mari ou encore d’aller chercher des noises à leur rivale, sauf en cas de flagrant délit. Elle se rassure en se disant que son mari n’est infidèle que pour s’amuser, pour affirmer sa virilité, parce que c’est un homme et que c’est normal. « Lehilahy tsy maintsy maditra e ! »*. C’est aberrant mais lorsque vous voyez le nombre d’époux infidèles que peut contenir une si petite ville, vous voyez que de telles absurdités peuvent s’avérer réelles. Si ce n’est pas l’entourage et la société qui pousse la femme à rester impassible et souffrir en silence par ce qu’elle doit « faire confiance à sa valeur », c’est le mari lui-même. En effet, combien de petits copains et de maris, n’ont pas rassuré leur femme ou leur petite amie en eur servant le discours insipide du : « Tu es la seule, tu es ma femme, tu n’as pas à avoir peur de ces minettes. Ce n’est qu’un jeu pour moi. Tu es la mère de mes enfants, je ne te quitterais jamais pour elles, matokisa valeur** ! ». Bref, un charabia manipulateur qui réduit l’infidélité à un simple jeu sans trop de conséquences, auquel la femme ne doit pas prêter attention. Mais si l’épouse à tellement de « valeur » : pourquoi la tromper ? Pourquoi lui faire subir cette humiliation ? Trahir sa confiance ? Autant de questions que beaucoup n’hésitent pas à répondre de manière sexiste : « Les hommes sont comme çà, et les femmes doivent s’y faire ». A mon avis, la réponse devrait pourtant être simple : le meilleur moyen de traiter son épouse à sa juste valeur est de ne pas la tromper.

H2- De la tolérance à la souffrance


Un autre concept qui m’a fait tiquer alors que j’essayais de comprendre cette situation d’infidélité généralisée et apparemment tolérée dans cette chère petite ville provinciale : la tolérance. La tolérance est une des choses que l’on martèle aux femmes qui vont se marier. Pour avoir un foyer, il faut être prête à pardonner, à tolérer certaines choses. En soit, je ne suis pas contre le concept de sacrifier un peu de soi pour le bien de sa famille. Mais les choses peuvent dégénérer quand on fait de ce concept une arme pour justifier les maltraitances faites envers les femmes. Ainsi, lorsqu’on apprend aux jeunes filles qu’elles doivent s’armer de patience et tolérer que parfois leur mari puisse être volage car c’est dans sa nature, c’est la porte ouverte à toutes sortes de dérives. De fil en aiguille, la tolérance devient impuissance et l’épouse entre dans une spirale infernale où elle n’aura même plus son mot à dire sur le comportent de son mari. En apprenant aux jeunes femmes que son mari peut la tromper un jour mais qu’elle doit pardonner et oublier pour le bien de sa famille, on élude totalement ses sentiments, sa souffrance, son ressenti. On la cantonne à un rôle de mère qui doit s’occuper de ses enfants, qui doit pardonner pour le bien de sa famille, et surtout se taire. On oublie qu’avant tout c’est une personne avec son intégrité, qui s’est mariée non pour se sacrifier à l’autel du pardon et de la tolérance, mais pour fonder une famille, s’épanouir auprès d’un mari qui la respecte.
*Lehilahy tsy maintsy maditra : C’est dans la nature des hommes d’être volages

**Matokisa valeur : Aie confiance en ce que tu vaux 

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